Yvan Wouandji: le cécifoot comme rythme de vie

Yvan Wouandji Kepmegni est né le 28 avril 1993 à Douala, au Cameroun. Ayant perdu la vue à 10 ans, il est un joueur international français de Cécifoot, football adapté aux personnes mal et non-voyantes.
En parallèle de ses études, il enchaîne les compétitions Cécifoot.
Depuis 2011, il est attaquant à Saint-Mandé, en région parisienne, club avec lequel il est champion de France en 2015.
Joueur offensif en Équipe de France Cécifoot, il est champion d’Europe en 2011 et termine second du tournoi pré-paralympique (2011). Il décroche une médaille d’argent aux Jeux Paralympiques de 2012 et termine second à l’Euro 2013. Il est également médaillé d’argent au championnat d’Europe à Rome, en septembre 2019, ticket d’entrée aux Jeux Paralympiques de Tokyo.
Après avoir reçu plusieurs distinctions, Yvan Wouandji est aujourd’hui chroniqueur sportif dans différents médias et ambassadeur pour les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 tout en continuant le Cécifoot.

Pouvez-vous nous expliquer comment se joue le Cécifoot et ses règles?
Yvan Wouandji: Le cécifoot, c’est du football adapté aux personnes mal et non-voyantes. Ça se joue sur un terrain en synthétique de dimensions de handball (40 mètres de long sur 20 mètres de large) avec des barrières de 1,20 mètre de hauteur de chaque côté pour que les joueurs et la balle ne sortent pas du terrain. Le cécifoot se joue toujours en extérieur. Le gardien, qui défend un but de dimension handball, a deux mètres de surface et n’a pas le droit de sortir au-delà de ces deux mètres pour arrêter le ballon. Seul le gardien est voyant et les 4 quatre joueurs de champs ont tous un bandeau pour que les mal et les non-voyants soient sur un pied d’égalité. Le ballon fait du bruit car il contient des grelots pour que les joueurs sur le terrain puissent l’entendre lorsqu’il est en mouvement. Sur les 40 mètres de long, le terrain est divisé en 3 secteurs: les 13 mètres offensifs, les 13 mètres du milieu et les 13 mètres offensifs. Le terrain est divisé en 3 zones car le gardien n’a le droit de parler qu’aux joueurs qui sont dans les 13 mètres défensifs. Le coach, lui, a le droit d’orienter uniquement les joueurs qui sont dans la zone du milieu. Et derrière le but adverse, le « guide » oriente les attaquants. Il y a aussi 2 arbitres voyants par moitié de terrain. Les joueurs n’ayant pas le ballon et se dirigeant vers celui-ci doivent se signaler, s’annoncer, en disant « Voy » (« je vais » en espagnol, le cécifoot ayant été développé en Espagne et en Amérique Latine). Il y a deux mi-temps de 25 minutes de jeu. Concernant les compétitions, il y a un championnat composé de 10 équipes en France, il y a une Coupe de France de cécifoot, une Coupe d’Europe des nations (Euro), une Coupe du Monde et c’est un sport qui est aux Jeux Paralympiques.

Yvan Wouandji, joueur de cécifoot.
Crédit: compte Instagram @wouandji.yvan

Chaque sport a ses valeurs. Selon vous, quels sont les valeurs véhiculées par le Cécifoot?
Yvan Wouandji: Le partage, le respect, la solidarité, l’acceptation des différences, la tolérance, l’écoute, la communication, l’engagement, l’humilité…

Comment êtes-vous rentré dans l’univers du Cécifoot?
Yvan Wouandji: 2 ou 3 ans après avoir perdu la vue, à l’âge de 12 ans, j’ai découvert le Cécifoot et j’ai commencé à y être initié, à me familiariser avec les règles, la discipline et j’ai compris que j’avais des qualités pour pourquoi pas jouer au haut niveau. Tout cela s’est échelonné, cela s’est fait petit à petit. Tout cela grâce à Julien Zelelat, qui était mon professeur de musique dans mon école pour mal et non voyants à Paris. Il m’a fait découvrir le Cécifoot car c’est lui qui a développé ce sport en France et l’a notamment fait inscrire au sein de la Fédération Française de Handisport. Comme il a vu que j’étais passionné de football et que j’en parlais souvent, il m’a proposé d’essayer.


En 2011, vous gagnez l’Euro en Turquie avec la sélection nationale. Il s’agit de votre premier titre en Cécifoot. Quel saveur a-t-il eu?
Yvan Wouandji: Une saveur particulière parce que cette équipe de France là avait gagné l’Euro deux ans auparavant donc ils étaient déjà sur une bonne dynamique. Et puis je pense que je ne m’en rendais pas compte à ce moment-là qu’on faisait une super compétition. On est allé jusqu’au bout. En plus j’ai débuté titulaire à tout les matchs. C’était un très bon moment. On a fait une belle fête derrière et ça nous a surtout permis d’être qualifié pour les Jeux Paralympiques de Londres. Ça a ouvert pleins de belles perspectives donc c’était génial. Je garde un très bon souvenir de la Turquie.

En 2012, vous décrochez la médaille d’argent aux Jeux Paralympiques de Londres. Racontez-nous cette aventure.
Yvan Wouandji: On nous attendait pas du tout aux Jeux Paralympiques et on est allé en finale. On sort par un trou de souris de la phase de poule. En demi-finale contre l’Espagne il y a avait une énorme effervescence. On bat l’Espagne, qui est une grosse nation au cécifoot et on accède à la finale. On savait qu’on était déjà médaillé et puis on perd contre le Brésil. C’est la meilleure nation au cécifoot. Ça m’a laissé un goût d’inachevé. On en est quand même sorti ravi parce que ça reste un gros tournoi et puis on est le premier sport collectif français aux Jeux Paralympiques à aller en finale. Derrière il y a eu une grosse diffusion sur les antennes de télévisions françaises. Comme toute athlète qui décroche une médaille olympique ou paralympique, on a été décoré par Monsieur Hollande de l’Ordre National du Mérite, une très belle distinction qui nous a ouvert des portes par la suite. Pour moi, ces Jeux Paralympiques de Londres ont changé ma vie à tous les niveaux.


En avril 2015, vous marquez un but extraordinaire contre l’Allemagne, de nombreux médias en ont en ont fait les gros titres. Vous avez confié que l’on vous « parlez tout les jours de ce but ». Est-ce que votre carrière a pris un tournant après ce but?
Yvan Wouandji: Oui, au delà de ma carrière, ça a permis aux gens de découvrir le Cécifoot. La discipline a gagné en visibilité, en reconnaissance et en médiatisation. Ce but là a été bénéfique pour tout le monde et nous a permis de gagner le match contre l’Allemagne alors qui restaient 3 minutes de jeu.

Si vous deviez retenir un match et un trophée, lesquels seraient-ce?
Yvan Wouandji: Il y a un match qui m’a marqué, je ne sais pas pourquoi, c’est un match à Metz, contre l’Italie, en 2015. J’ai commencé le match en défense et j’ai fini en attaque. Sur ce match on agressait les italiens. Je marque finalement un but. On gagne ce match 1 à 0 et toute l’équipe a très bien joué. Ce match-là m’a marqué mais il y en a beaucoup d’autres dont un contre une équipe de la région parisienne. Je mets un but en « barre rentrante » et on gagne 2-0. Ce match m’a marqué parce que je me suis super bien entendu avec un coéquipier et on a très bien joué. Le match France-Allemagne, aussi, je ne l’oublierais pas. Concernant le trophée, celui du meilleur joueur de la saison 2018-2019 m’a touché.


Samuel Eto’o est un de vos joueurs préférés, pourquoi?
Yvan Wouandji: Samuel bien sûr que c’est un de mes joueurs préférés. Africain, camerounais comme moi. C’est quelqu’un qui est généreux, qui se donne à fond sur le terrain, qui est impliqué, battant. J’aime beaucoup les joueurs battants comme Pogba. Aujourd’hui les joueurs que j’admire… Il y a Sancho, Raheem Sterling, Aguero, pour son efficacité.

Samuel Eto’o et Yvan Wouandji
Crédit: compte Instagram @wouandji.yvan

Vous avez reçu de nombreuses distinctions, matérielles ou immatérielles: vous avez été élu « meilleur jeune joueur espoir du championnat de France du Cécifoot de la saison 2009-2010 », vous avez été élu « sportif espoir français de l’année » en 2013. En 2016, France Football vous considérez comme « un des meilleurs joueurs en France ». Pour la saison 2018-2019, vous avez été le meilleur joueur du championnat. Vous êtes également Chevalier de l’ordre national du Mérite. Qu’est-ce que tout cela représente pour vous?
Yvan Wouandji: Ça fait plaisir. Les trophées, les distinctions, les reconnaissances, ça fait plaisir. C’est une manière de récompenser le travail fourni, les efforts faits. J’en suis fier. J’ai faim de trophées, de compétitions, de victoires. J’ai la gagne donc tous les trophées et distinctions me font plaisir. Et puis voir les proches heureux et fiers, c’est important. Ça me donne envie de poursuivre, d’aller de l’avant, de continuer à gagner avec Saint-Mandé et l’équipe de France. Et puis plus ça montre aux gens qu’on peut ne pas voir et y arriver.


Comment appréhendez-vous les Jeux Paralympiques de Tokyo?
Yvan Wouandji: Le fait de s’être qualifié pour les Jeux Paralympiques de Tokyo c’est énorme. On a plus d’entraînements, plus de tournois. Malheureusement, je pense que les Jeux Paralympiques de Tokyo seront noyés par ceux de Paris: tout le monde pense déjà à Paris 2024, notamment certains médias.

Comment êtes-vous devenu ambassadeur pour les Jeux Olympiques 2024 et Jeux Paralympiques 2024? Qu’est-ce qui vous tient à cœur dans ces futures compétitions?
Yvan Wouandji: J’ai été nommé ambassadeur par les instances, notamment par le conseil départementale de Seine Saint-Denis et par le ministère au travers de mon implication, de mes actions sur et en-dehors du terrain. C’est une fierté d’être ambassadeur et d’être reconnu à travers ça. Les gens apprécient ce que je fais donc j’en suis très heureux. Ce qui me tient à cœur, c’est que l’équipe de France, dans les différentes disciplines, fassent au mieux, raflent le plus grand nombre de médailles. J’attends aussi un grand nombre de spectateurs, dans les stades et devant les écrans. C’est aussi une occasion de mobiliser le grand public à venir voir le Cécifoot et se dire que c’est du football. Je voudrais aussi que la jeunesse se dise que le sport est à la portée de tous si on se donne les moyens.


Vous avez déclaré « si demain on me propose de retrouver la vue, je dirais non. Mon handicap m’a montré tellement de choses, ouvert tellement de portes. Paradoxalement, je dirais qu’il m’a ouvert les yeux ». En quoi la cécité vous-a-t-elle « ouvert les yeux »?
Yvan Wouandji: Dans le sens où ça m’a permis d’avoir une approche et un rapport différent avec les gens. Ça m’a également permis de rencontrer pleins de gens, de rencontrer un autre univers et une facette de l’être humain que je n’aurai pas forcément côtoyé. J’ai aussi découvert le Cécifoot et me suis découvert moi-même autrement.

Yvan Wouandji sensibilise également les générations au cécifoot.
Crédit: compte Instagram @wouandji.yvan

Aujourd’hui, vous sensibilisez toutes les générations et vous intervenez dans des écoles, dans des clubs, dans des centres de formations. Qu’est-ce que vous voulez véhiculer?
Yvan Wouandji: Je leur fais découvrir le Cécifoot. Il y a une mise en situation, ils jouent avec le bandeau, ils apprennent à écouter, à se déplacer, à avoir un rapport différent avec leurs partenaires. Ils ne se voient pas mais s’écoutent et parlent. Je mets en place différents ateliers, ils s’initient à la conduite de balle, aux penaltys, à agir autrement. Je fais comprendre aux gens que ça reste du football, pour, pourquoi pas, qu’ils s’y mettent et qu’ils en parlent autour d’eux.


Avez-vous des projets pour le futur?
Yvan Wouandji: Pourquoi pas développer le cécifoot dans d’autres pays. L’idée c’est d’inciter d’autres non ou mal-voyants à faire du sport. Peut être aider au niveau humanitaire aussi, une aide quotidienne pour essayer d’égayer le quotidien des personnes en difficultés en Afrique ou ailleurs. Et puis apporter du sourire, parce que c’est important.

Solal Pestana

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